L’objectif du Traité de démocratisation (TDEM) est de donner aux citoyens les moyens de réduire les inégalités et de mettre en place une véritable justice sociale, fiscale et environnementale en Europe. Jusqu’ici, l’intégration européenne a surtout bénéficié aux acteurs économiques et financiers les plus puissants et les plus mobiles : grandes multinationales, ménages à hauts revenus et hauts patrimoines.
En créant une Assemblée européenne, les Etats qui le souhaitent se donneront la possibilité d’imposer à leur juste part les acteurs les plus prospères, et de financer ainsi un budget commun permettant de mettre en place un modèle européen fondé sur le développement équitable, social et environnemental. Ceci est impossible dans le cadre des institutions actuelles, notamment à cause du droit de veto de chaque pays empêchant toute politique fiscale commune.
Non : le projet a été conçu pour pouvoir être adopté par les pays qui le souhaitent, sans qu’aucun pays ne puisse opposer son véto.
De façon générale, l’opinion publique européenne, dans tous les pays et au sein de toutes les persuasions politiques, a été fortement sensibilisée ces dernières années à la question du manque de justice fiscale et sociale en Europe, et en particulier au fait que les plus grandes sociétés paient des taux d’imposition sur leurs bénéfices plus faibles que les petites et moyennes entreprises, et que les ménages à hauts revenus et hauts patrimoines paient des taux moins élevés que les classes moyennes et populaires. Cette réalité est maintenant connue de tous et mine le contrat social et le consentement fiscal en Europe. Pourtant aucun gouvernement ne propose de solution concrète pour sortir de cette impasse. C’est pourquoi nous pensons qu’un plan précis permettant de résoudre ce problème et d’apporter plus de justice fiscale et sociale aux pays européens correspond aux besoins de l’Europe actuelle, et pourrait recueillir un assentiment majoritaire dans tous les pays.
Par ailleurs, le projet a été conçu pour pouvoir être adopté par n’importe quel sous-ensemble de pays membres de l’Union européenne. Sur le plan juridique, la logique du Traité de démocratisation est en effet qu’il n’entre en conflit avec aucun des traités actuels de l’Union européenne : il les complète en créant pour les pays qui le souhaitent une souveraineté fiscale partagée nouvelle. Il ne nécessite donc nullement l’accord de tous les pays membres de l’UE pour entrer en vigueur. Il s’agit d’un point central : l’objectif est précisément de pouvoir contourner le possible veto de pays refusant la possibilité d’impôts communs (comme le Luxembourg et l’Irlande).
Il est préférable que le TDEM soit adopté d’emblée par un nombre important d’entre eux, en particulier par les quatre plus grands pays de la zone euro : Allemagne, France, Italie, Espagne, qui à eux quatre représentent plus de 70% de la population et du produit intérieur brut de la zone. C’est pourquoi nous avons repris ce seuil de 70% pour l’entrée en vigueur du Traité (article 20 du TDEM), ce qui permet en outre de donner aux Etats signataires la légitimité suffisante pour intervenir dans la régulation de l’union monétaire.
Mais le Traité peut également être amendé afin de pouvoir être adopté par un plus petit nombre de pays, qui peuvent ainsi exprimer leur volonté concrète d’avancer et surtout démontrer aux autres l’intérêt de disposer d’impôts communs et d’un budget de démocratisation. Par exemple, rien n’interdit à la France et à la Belgique, ou à la France et à l’Allemagne, de créer une Assemblée commune ayant le pouvoir d’adopter des impôts communs pour financer un budget commun.
Oui, en quelques mois.
En 2011-2012, de nouveaux traités ont été conclus en quelques mois afin de réformer complètement les règles budgétaires en Europe, en particulier avec le nouveau traité budgétaire (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en Europe, TSCG) et le traité créant le Mécanisme européen de stabilité (MES). Le problème est que ces traités n’ont fait que renforcer l’opacité et l’austérité en Europe. Mais leur adoption rapide démontre qu’il est parfaitement possible techniquement d’adopter le Traité de démocratisation, pourvu que la volonté politique existe et que les citoyens et mouvements politiques s’engagent. Ce n’est pas en répétant que rien n’est possible que l’on va réussir à transformer l’Europe.
Cela dit, l’expérience des autres changements de Traité suggère qu’il peut être difficile d’adopter de telles réformes « à froid », et que c’est souvent sous le poids d’évènements imprévus et de crises (comme la hausse des taux d’intérêt de l’automne 2011) que de tels changements, jugés impossibles peu de temps auparavant, font soudainement l’objet d’un consensus.
En tout état de cause, que des propositions telles que le TDEM soient adoptées « à froid » (option qui a évidemment notre préférence) ou à la suite de crises financières ou politiques futures (difficiles à écarter en l’état actuel des choses), cela ne doit pas dispenser de débattre du contenu des prochains changements de Traité, bien au contraire : il faut se préparer aux crises à venir avec un plan d’action pour reconstruire l’Europe sur de meilleures bases. Cela permettra d’éviter de devoir de nouveau bricoler à la dernière minute un mauvais rafistolage des traités, faute d’en avoir débattu auparavant.
Non, car le projet prévoit explicitement que l’écart entre les recettes et les dépenses ou reversements versés et reçus par les différents Etats signataires ne puisse excéder 0,1% de leur produit intérieur brut (article 9 du TDEM) afin précisément de se prémunir de ce risque de rejet. S’il existe un consensus en ce sens, ce seuil peut être abaissé ou rehaussé, sans modifier la substance du projet.
Il s’agit d’un point fondamental, car le fantasme de « l’union de transfert » est devenu le point de blocage de toute la réflexion européenne. Or le défi central auquel fait face l’Europe n’est pas d’organiser de vastes transferts entre pays, mais bien plutôt de réduire les inégalités à l’intérieur des pays. Concrètement, les inégalités à l’intérieur des pays sont beaucoup plus importantes que les inégalités entre pays, et c’est pourquoi nous proposons de mettre l’accent sur les premières, afin de sortir de faux blocages. Il existe des contribuables riches en Grèce et des contribuables pauvres en Allemagne : c’est pourquoi le TDEM est conçu pour mettre à contribution les premiers (et plus généralement tous les contribuables favorisés d’Europe) et bénéficier aux seconds (et plus généralement tous les contribuables défavorisés d’Europe, quel que soit leur lieu de résidence).
Il faut toutefois souligner que ce calcul ne prend pas en compte les dépenses et investissements réalisés dans un pays en vue de satisfaire un objectif d’intérêt commun bénéficiant également à tous les pays, comme par exemple la lutte contre le réchauffement climatique, ainsi que le fonds d’accueil aux réfugiés. Cela concerne notamment les dépenses et investissements dont la localisation géographique est contrainte par nature (comme par exemple les centres d’accueil des migrant-es dans certains pays frontaliers, certains aspects de la transition écologique : épuisement différencié des sols, transition depuis les énergies fossiles rendue plus nécessaire dans certaines régions…). Concernant le budget « universités et recherche », il serait également justifié d’exclure les programmes de recherches liés au changement climatique et l’accueil d’étudiants d’autres pays signataires. Ces questions peuvent le cas échéant être précisées dans le Traité.
De façon générale, l’objectif de l’Assemblé européenne et du Budget de démocratisation est de créer une plus grande justice fiscale et une plus grande solidarité européenne, et nous espérons vivement que les pays signataires accepteront de revoir ce seuil de 0,1% du PIB, et de le porter par exemple à 0,5% ou 1% du PIB. Mais cela ne doit pas servir d’excuse pour le rejet du projet, et c’est pourquoi il nous semble plus adapté de proposer un seuil de transfert relativement bas, du type 0,1%, en particulier pour ce qui concerne les reversements de recettes aux Etats signataires (ce qui représente la moitié du budget proposé ; voir budget).
NB : La Commission européenne publie chaque année les « soldes budgétaires opérationnels » pour chaque pays (différence entre les contributions versées par chaque Etat et les dépenses dont il a bénéficié), et les plus grands contributeurs nets sont l’Allemagne, la France et la Royaume-Uni, avec des soldes contributeurs nets de l’ordre de 0,2%-0,4% du RNB suivant les années ; le budget et les soldes envisagés ici s’ajouteraient à ces montants, avec un budget total envisagé atteignant au total 4% du PIB dans la version proposée (contre 1% dans le budget UE actuel.
La concurrence fiscale entre pays européens a conduit à abaisser sans cesse davantage les impôts sur les contribuables les plus fortunés et les plus mobiles (grandes entreprises, contribuables à hauts revenus et hauts patrimoines), au détriment des contribuables plus modestes, qui ont vu leurs prélèvements augmenter (notamment sous forme de TVA et autres taxes indirectes et d’impôts et prélèvements sur les salaires). La seule façon de mettre fin à la concurrence fiscale est de donner la possibilité à une Assemblée européenne de pouvoir voter des impôts en commun.
Dans le projet de Budget proposé, il est prévu de reverser la moitié des nouvelles recettes, soit 2% du PIB sur un total de 4% du PIB provenant des quatre impôts sur les bénéfices, les hauts revenus, les hauts patrimoines et les émissions carbone.
Cela permettra notamment aux Etats membres d’abaisser les impôts pesant sur les plus modestes (TVA, taxes indirects, impôts et prélèvements sur les salaires, etc.), suivant les priorités qui sont les leurs.
L’Assemblée européenne pourrait également choisir de reverser la totalité des recettes de cette façon. Ce n’est pas notre choix préféré, car il nous semble important que les recettes nouvelles soient également utilisées pour financer des investissements communs dans l’avenir. Mais un tel choix serait déjà une amélioration considérable par rapport à la situation existante : l’Assemblée européenne serait un outil permettant à chaque Etat membre de mettre en place une plus grande justice fiscale.
En juin 2018, dans la déclaration de Meseberg, le couple franco-allemand s’est mis d’accord sur une feuille de route pour mettre en place un budget pour la zone euro à horizon 2021. L’objectif évoqué de ce budget est la convergence au sein de la zone euro et sa stabilisation. Les différences avec notre projet sont très nombreuses.
De façon générale, le projet Macron-Merkel est extrêmement flou, alors que le nôtre est précis ; le flou du projet Macron-Merkel est d’autant plus problématique que cela permet d’alimenter tous les fantasmes anti-européens. Par exemple les eurosceptiques peuvent évoquer le risque d’énormes transferts entre pays sans que l’on puisse les démentir, ce que notre projet permet de faire en plafonnant drastiquement et explicitement les transferts entre pays.
Par ailleurs, le budget évoqué dans le projet Macron-Merkel ne dépasse pas quelques dixièmes de points de PIB, alors que le nôtre se monte à 4% du PIB (ou davantage si l’Assemblée européenne le décide)
Ensuite, le projet Macron-Merkel ne change rien à l’opacité de la gouvernance européenne actuelle (la gouvernance évoquée repose sur l’Eurogroupe, la Commission et le MES), alors que notre projet repose repose sur une profonde démocratisation de l’Europe, avec la création d’une Assemblée européenne démocratique composée de députés nationaux et européens, qui aura le dernier mot sur les autres instances pour le vote du budget
Enfin, le budget proposé ici est plus ambitieux qu’un simple outil de stabilisation ou de convergence : c’est un budget qui vise à créer du commun, à mettre en place des projets collectifs de l’Union Européenne dans son ensemble.
Les États européens, qu’ils le veuillent ou non, partagent un certain nombre de biens publics communs. Les biens communs sont des biens non exclusifs et dont les externalités dépassent les frontières administratives, comme par exemple le climat. Le fait que ces biens bénéficient ou coûtent aux populations sans distinction de frontière justifie une gouvernance commune. Les pays européens partagent également de facto un certain nombre de défis qui ne sauraient être réglés par une gestion purement nationale. Comment imaginer réaliser la transition écologique des économies nationales si ce n’est par une politique commune ? Comment réguler en Europe les grandes entreprises du numérique si ce n’est par une politique concertée ? La proposition de budget a donc pour axes les différents défis et biens communs de l’Europe : le savoir, l’environnement, l’accueil des migrants et la fiscalité.
L’objectif est de créer du commun européen pour permettre à l’Union européenne de se projeter dans l’avenir par la transition de son mode de croissance et de réguler la mondialisation, en promouvant un véritable modèle européen de développement durable et équitable.
Dans la proposition exposée dans le TDEM, nous suggérons que l’Assemblée européenne soit composée pour 80% de ses membres de parlementaires des Parlements nationaux (au prorata des groupes qui les composent) et pour un cinquième (20%) de ses membres de parlementaires du Parlement européen (également au prorata des groupes qui le compose).
La première raison pour laquelle nous souhaitons voir siéger une majorité de parlementaires nationaux est d’abord une question de légitimité sur les mesures fiscales : l’un des blocages principaux à l’unification fiscale est le refus des Parlements nationaux de perdre le monopole de cette prérogative.
De plus, et surtout, il nous semble essentiel que les élections législatives nationales deviennent de facto des élections européennes : le projet politique national doit s’insérer dans un projet européen si l’on veut redonner du sens au récit européen, les campagnes nationales ne peuvent pas utiliser l’Europe comme bouc émissaire au risque de nourrir le populisme. La représentation des députés nationaux à l’Assemblée européenne implique que les candidats aux élections législatives nationales ne pourront plus se défausser sur Bruxelles : ils devront expliquer aux électeurs les projets et budgets qu’ils comptent défendre au sein de l’Assemblée européenne. En réunissant les parlementaires nationaux européens au sein d’une même Assemblée, on créera des habitudes de co-gouvernance, qui n’existent aujourd’hui qu’entre chefs d’état et ministres des finances.
Techniquement oui. Politiquement et démocratiquement, ce ne serait pas la meilleure solution.
Dans la proposition exposée sur ce site nous suggérons que l’Assemblée européenne soit composée à 80% de membres des Parlements nationaux et à 20% de membres du Parlement européen. Ce choix mérite une ample réflexion. Le pourcentage de députés nationaux pourrait être abaissé, par exemple à 50%.
Techniquement, il pourrait également être réduit à 0%, auquel cas la composition de l’Assemblée européenne serait identique à celle de l’actuel Parlement européen, mais avec des pouvoirs fiscaux et budgétaires beaucoup plus importants, puisqu’actuellement le Parlement européen ne peut adopter le moindre impôt européen, compte tenu du droit de veto de chaque Etat membre. Si une telle proposition faisait l’objet d’un accord entre un nombre suffisant d’Etats membres, cela serait une avancée considérable pour l’Europe, que nous soutiendrions.
Nous mettons cependant en garde sur les risques politiques et démocratiques que comporteraient une telle solution, et plus généralement un abaissement trop important du pourcentage de députés nationaux (au-dessous de 50%). Cela pourrait créer à l’avenir des conflits futurs de légitimité entre l’Assemblée européenne et les Parlements nationaux, qui jusqu’à preuve du contraire conserveraient le pouvoir de voter l’impôt dans les différents Etats membres, et aussi celui de ratifier et de dénoncer les traités internationaux (comme les traités européens, et en particulier le TDEM). Il paraît nettement préférable d’européaniser les Parlements nationaux en les plaçant au cœur de la démocratisation de l’Europe.
En octobre 2018, les gouvernements français et allemands ont évoqué la possibilité de création d’une Assemblée parlementaire franco-allemande pour débattre d’un certain nombre de sujets, en particulier sur les questions de défense.
La différence centrale que cette Assemblée parlementaire est purement consultative (comme d’ailleurs la conférence des parlements nationaux qui existe déjà dans le cadre des traités actuels), alors que nous proposons la création d’une Assemblée européenne qui disposerait d’un véritable pouvoir fiscal et budgétaire lui permettant d’adopter en dernier ressort des impôts communs alimentant un budget commun.
Le Manifeste s’adresse à tous les citoyens et mouvements politiques européens qui s’y reconnaîtront et voudront contribuer à l’améliorer, sans exclusive d’aucune sorte. Notre objectif est d’alimenter un débat de fond, au-delà des étiquettes du passé.
Dans la mesure où il met l’accent sur la justice sociale et fiscale et sur la possibilité d’adopter des impôts européens sur les acteurs économiques les plus riches et les plus puissants, il est naturel de rattacher ce Manifeste à la gauche. Il s’agit dans ce cas du Manifeste d’une gauche vraiment européenne, et vraiment de gauche. La plupart des rédacteurs et des premiers signataires du Manifeste se reconnaissent dans cette description.
Mais il nous semble surtout que la question de la justice sociale et fiscale en Europe a vocation à rassembler au delà des clivages habituels : de nombreux citoyens européens de toutes tendances, et surtout de nombreux citoyens désabusés et qui ne se reconnaissent pas dans l’offre politique existante, souhaitent que les acteurs économiques les plus puissants soient mis à contribution au moins autant que les plus modestes. De nombreuses réformes portées par la « gauche » dans le passé, comme le suffrage universel ou l’impôt sur le revenu, sont depuis longtemps devenues consensuelles.
Enfin, la question centrale de la construction d’une Assemblée européenne légitime et souveraine, s’appuyant à la fois sur les Parlements nationaux et le Parlement européen, va au-delà des clivages traditionnels, tout simplement car elle ne s’est jamais posée : jamais dans le passé de vieux Etats nations n’ont choisi de mettre en commun leur souveraineté fiscale de façon aussi ambitieuse que ce qui est proposé ici. Notre objectif est de contribuer à ce débat fondamental, et non d’enfermer les uns et les autres dans leurs certitudes de « gauche » et de « droite ».
L’exercice budgétaire est au cœur du processus démocratique : dans un pays, l’exercice budgétaire concrétise le projet politique du gouvernement et fait jouer les forces démocratiques via la proposition et l’adoption du budget annuel du gouvernement. Le budget est donc l’acte fondateur d’une communauté politique dans la mesure où il crée l’espace politique et le levier démocratique. Créer un budget européen c’est donc créer une communauté politique européenne, un espace public et démocratique.
De plus, ce budget servira à financer les conditions mêmes de la viabilité de la démocratie en Europe. En assurant le respect de la justice sociale et en assurant une croissance durable et plus équilibrée, ce budget répondra aux risques auxquels fait face l’Europe. L’État social, pour maintenir sa légitimité, doit être capable de redistribuer de manière équitable les richesses créées. L’Europe, pour justifier la légitimité du marché commun, doit être capable de réguler la mondialisation et d’orienter les économies vers une croissance non néfaste.
Face à l’urgence financière, les États ont mis en place un véritable gouvernement économique européen pour gérer les défis de la crise de la dette. Le problème est que ce gouvernement d’urgence s’est institutionnalisé sans se démocratiser et il reste très opaque pour les citoyens.
Après l’urgence financière, l’Europe fait face à une véritable urgence sociale, démocratique et écologique. La montée du repli identitaire, la perte de sens du projet européen, le sentiment d’abandon de certaines parties de la population et le montée des inégalités fait que l’Union européenne est devenu le bouc émissaire et le responsable désigné des tensions sociales.
Cette urgence justifie la mise en place d’un nouveau gouvernement européen, l’Assemblée européenne, qui permettra la démocratisation de la gouvernance économique et sociale de l’Union européenne. Le projet du TDEM est de permettre la reconquête démocratique de l’UE en donnant des outils concrets et réalistes pour reprendre en main le projet européen et répondre aux défis sociaux et écologique, de créer un espace politique commun qui permette aux citoyens de réécrire un récit commun autour de l’Europe. Ce projet vise à sortir de l’impasse européenne en créant un commun européen.
En plus d’être un appel à la remobilisation d’une dynamique européenne, ce projet apporte enfin des propositions concrètes et précises permettant de transformer l’Europe et de mettre en place une plus grande justice fiscale et sociale. Nous formulons des propositions budgétaires et juridiques construites qui sont applicables telles quelles mais qui sont aussi des outils pour négocier, une base de discussion précise, qui montre qu’il est possible de faire des choses en Europe, que tout n’est pas bloqué. Nous proposons une utopie concrète, que nous espérons performative.
Il existe aujourd’hui un gouvernement économique européen qui s’est autonomisé par rapport à la gouvernance de l’Europe initiale et au Parlement européen autour de l’Eurogroupe. Cela justifie la création d’une nouvelle Assemblée pour contrôler démocratiquement ce gouvernement économique. D’autre part, l’Assemblée européenne a des compétences fiscales et se conçoit donc comme une instance européenne des Parlements nationaux tandis que le Parlement européen a un statut plus transnational. Le Parlement européen ne serait cependant pas étranger à cette nouvelle Assemblée puisque certains de ses députés y siégeraient.
Nous proposons la possibilité (si l’Assemblée européenne le décide) d’une mise en commun du taux de refinancement des États pour tout ou partie de leurs dettes (article 10 du TDEM). Cette proposition s’inspire du « fonds de rédemption de la dette publique » proposé en 2012 par le conseil d’économistes auprès de la Chancellerie allemande, à la différence importante près que c’est une instance démocratique (l’Assemblée européenne) et non une règle automatique qui décidera du rythme de remboursement. Chaque pays continuerait de rembourser sa propre dette mais à un taux d’intérêt identique pour tous. Cela permettrait d’éviter une crise des spread comme celle que l’on a vécue et instituerait un nouveau point de référence plus satisfaisant que celui du marché.
Il faut toutefois souligner que le TDEM a été bâti principalement autour de la problématique de la justice fiscale, et en particulier autour de l’idée d’une Assemblée Européenne adoptant des impôts communs afin de financer un budget de démocratisation. Les questions de l’emprunt, de la dette publique et de la monnaie jouent également un rôle dans le TDEM, mais elles font partie des multiples points sur lesquels notre proposition peut et doit être précisée et améliorée. De façon générale, l’objectif du TDEM n’est pas de clore la discussion mais de l’ouvrir sur une base précise, afin que chacun puisse s’en saisir, l’amender et l’améliorer.
Nous insistons sur le fait que l’ensemble de notre proposition est amendable et modifiable et ne constitue qu’une base de discussion. En particulier, de très nombreux paramètres peuvent être modifiés. Ainsi, le pourcentage de députés nationaux (80% dans le projet actuel) peut être abaissé. Le plafond de transferts fiscaux à 0,1% du PIB est également ajustable selon si l’on souhaite orienter le budget vers un objectif de convergence des économies ou bien se concentrer sur la réduction des inégalités au sein des différents pays et de financer des projets communs d’avenir. Autre exemple : nous avons proposé que le traité puisse être adopté par des États représentant au minimum 70% de la population. Il nous semble que ce chiffre représente un seuil souhaitable pour que le contrôle de la gouvernance économique de l’Europe soit légitime. Cependant, on peut imaginer que le traité soit adopté par des pays représentant une proportion moindre de la population, uniquement sur son aspect budgétaire : une assemblée commune franco-belge ou franco-allemande ou franco-belgo-allemande levant un impôt commun sur les sociétés ou les grandes fortunes serait déjà une avancée non négligeable !
Notre objectif n’est pas de clore le débat mais de l’ouvrir sur des bases précises : chacun est en droit d’être en désaccord avec nos propositions, mais à condition de dire précisément les alternatives envisagées. Le débat européen se meurt des affirmations selon lesquelles « rien n’est possible » ; espérons que le temps des propositions soit arrivé.
La proposition du TDEM vise à se donner les moyens d’agir avec les pays qui les souhaitent, sans qu’aucun pays ne puisse apporter son véto et bloquer l’ensemble. Mais il est bien évident que l’idéal à terme serait de refondre l’ensemble des traités européens. Il est trop facile cependant de dire que l’on va dénoncer l’ensemble des traités sans dire précisément avec quels nouveaux traités on propose de les remplacer. Le fait de dénoncer certains aspects des traités existants peut constituer une stratégie utile à l’avenir, mais seulement à la condition de faire des propositions constructives et alternatives : c’est l’esprit du TDEM.
Le problème est que les institutions européennes actuelles, à cause notamment du droit de veto de chaque pays sur les questions fiscales, ne permettent pas d’avancer vers une plus grande justice fiscale. Faire croire le contraire, alors que les citoyens européens constatent depuis des années que cela ne fonctionne pas, revient à aggraver le sentiment de défiance face aux institutions européennes.
Le budget proposé ne consiste pas uniquement en des impôts, ce sont aussi des investissements dans des projets d’avenir. La concurrence fiscale est un levier de développement peu solide et peu créateur de valeur ajoutée, la transition écologique de l’ensemble d’un continent en coopération est un levier de développement bien plus attrayant. Il faut rompre le cercle vicieux de la concurrence déloyale.
Par ailleurs, rien n’oblige l’Irlande ou le Luxembourg à rejoindre le projet dans l’immédiat. Simplement, rien ne leur permet de bloquer les pays qui souhaitent avancer. Les pays rejoignant le TDEM auront ainsi la possibilité de démontrer aux autres l’intérêt d’avoir des impôts et des budgets communs, et de les convaincre ainsi de rejoindre le projet.
Tous les pays ont toujours le droit de conclure des traités bilatéraux ou multilatéraux entre eux, à partir du moment où cela ne viole pas les traités qu’ils ont déjà conclu dans le passé (sauf bien sûr à dénoncer ces derniers). En l’occurrence, le TDEM ne viole aucun des traités européens existants, car les nouvelles souverainetés attribuées par le TDEM à l’Assemblée européenne (en particulier sur le plan fiscal) ne sont pas couvertes par les traités actuels.
L’une des raisons pour laquelle l’Europe est réputée immuable est la lourdeur des négociations à 27 ou 28 pays. L’Union européenne a été construite par quelques pays avant de s’étendre. Il paraît logique qu’elle avance dans un premier temps en petit comité. Le système actuel des « coopérations renforcées » est insuffisant car il ne s’appuie pas sur de véritables institutions démocratiques : d’où la proposition de TDEM et de création d’une Assemblée européenne, qui de facto fournit un cadre démocratique légitime pour l’adoption de « coopérations renforcées » beaucoup plus ambitieuses que celles permises actuellement, notamment sur le plan fiscal et budgétaire.
La "coopération renforcée" entre Etats Membres de l'Union est parfois présentée comme un mécanisme permettant de dépasser le verrou de l'unanimité, notamment dans le domaine fiscal. Mais en réalité, ce mécanisme repose sur des règles extrêmement contraignantes qui bloquent aujourd'hui de véritables avancées en matière fiscale ou institutionnelles. En effet, la mise en oeuvre d'un impôt commun sur les sociétés (ou de tout autre impôt commun) dans le contexte de la coopération renforcée nécessiterait un minimum de 9 Etats participants, ainsi que l'accord du Conseil, à la majorité qualifiée.
Concrètement, cela veut dire qu'en plus que de s'assurer de la participation de 9 Etats Membres, il faudrait obtenir le vote de 55% des Etats Membres au Conseil, représentant 65% de la population, pour valider l'initiative. Plus contraignant encore: si la Commission ne donnait pas son accord au préalable (ce qui est probable) il faudrait obtenir l'accord de 72% des Etats Membres représentant 65% de la population de l'Union! Et enfin, 4 Etats représentant 35% de la population pourraient bloquer net la proposition.
En bref, la coopération renforcée ne permet pas aujourd'hui à un petit groupe de pays de se lancer dans une harmonisation fiscale ou une réforme institutionnelle ambitieuse. A l'inverse, rien n'empêche à quelques Etats pionniers de créer des impôts communs en s’appuyant sur un Traité et une Assemblée du même type que ce que nous proposons. Nous pensons que cela pourrait créer une dynamique d'entraînement (comme ce fut le cas aux débuts de la construction Européenne) capable de briser l'inertie institutionnelle actuelle.
Par définition nous ne pouvons pas savoir à l’avance ce que l’Assemblée européenne adoptera. Mais nous sommes convaincus que la seule façon de faire avancer l’Europe est de faire confiance à la démocratie.
Actuellement, compte tenu de la règle de l’unanimité fiscale, il n’existe aucune possibilité d’adopter des impôts communs pour réduire les inégalités en Europe. Avec l’Assemblée européenne et le TDEM, cette possibilité existera. Au pire, l’Assemblée européenne n’adoptera aucun de ces impôts, ou bien ne les adoptera qu’avec des taux extrêmement réduits, tout du moins dans un premier temps. Mais cela n’empêchera en rien les Etats de continuer de suivre les politiques fiscales menées actuellement : l’Assemblée européenne ouvre la possibilité d’adopter des impôts communs, et en l’occurrence des impôts redistributifs et écologiques (impôts sur les bénéfices des sociétés, sur les hauts revenus, sur les hauts patrimoines et sur les émissions carbone), mais ne retire rien aux droits des Etats.
Par ailleurs, toute l’histoire parlementaire et fiscale démontre que le fait de créer des assemblées parlementaires dotées de pouvoirs fiscaux importants bouleverse très rapidement les dynamiques politiques. Dès lors que le 16e amendement à la Constitution américaine a été adopté en 1913, le Congrès fédéral a très vite utilisé ses nouveaux pouvoirs pour adopter les impôts sur les revenus et les patrimoines hérités parmi les plus progressifs de l’histoire. A l’inverse, c’est l’absence d’un pouvoir parlementaire fiscal fédéral et la course-poursuite entre Parlements nationaux qui explique pourquoi l’Europe s’est lancée depuis les années 1980-1990 dans un abaissement généralisé des taux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, alors que le Congrès fédéral étatsunien maintenant un IS à 35% (jusque récemment), en sus des impôts des Etats. Si une Assemblée européenne en avait le pouvoir, il est probable qu’elle choisirait un impôt commun à taux élevé sur les bénéfices des sociétés, afin de mettre à contribution les acteurs économiques les plus puissants, comme le demande très majoritairement l’opinion européenne, au-delà des clivages politiques.
Il existe aujourd’hui bien d’autres pistes de démocratisation qui ne peuvent être négligées, à commencer par la palette large des outils de la « démocratie participative ». Le traité pourra bien sûr être enrichi sur ce point mais on aurait tort d’opposer la démocratie des parlements à celle des mobilisations citoyennes et des formes de contre-expertise. Tous les enseignements récents en la matière montrent que ces dernières ont vocation à être articulées et structurées aux formes de la démocratie représentative si l’on souhaite éviter qu’elles ne demeurent des solutions cosmétiques comme c’est trop souvent le cas au niveau européen, national ou local. Au contraire, en faisant une greffe démocratique au cœur du bloc de pouvoir que constitue le gouvernement économique européen, on ouvre une brèche dans laquelle les causes citoyennes jusqu’ici évincées comme les voix hétérodoxes jusqu’ici marginalisées pourront désormais s’engouffrer. Par ses pouvoirs d’audition et d’enquête, par la capacité d’expertise économique pluraliste dont elle est dotée, et par ses pouvoirs de proposition et de décision en matière législative et budgétaire, l’Assemblée et ses différents groupes politiques constitueront bien au contraire un allié et un levier politiques essentiels pour porter ces voix au cœur du gouvernement de l’Union.
Le T-Dem n’a jamais été pensé comme une proposition clé-en-main mais comme un work-in-progress ouvert aux retouches et aux correctifs. Sa publication dans neuf langues européennes et les nombreux débats qu’il a suscités ont aussi permis de faire apparaître quelques évolutions possibles.
La modification principale introduite ici tient à l’ouverture du Traité de démocratisation à la signature de l’ensemble des 27 Etats-membres de l’Union, et non plus aux seuls membres de la zone euro. C’est pourquoi nous parlons désormais d’Assemblée européenne et non plus d’Assemblée parlementaire de la zone euro.
C’est plus conforme à l’idée que nous nous faisons de la communauté de destin européenne : celle-ci tient moins à l’appartenance ou non à l’€ qu’à la volonté marquée de participer à la communauté politique que dessine, par les impôts et par les investissements du long terme, le Budget des biens publics d’échelle européenne. C’est pour cette raison que le Budget apparaît désormais dès l’article 1, comme élément central de la refondation démocratique de l’Union.
Mais c’est aussi plus conforme au gouvernement économique de l’Union tel qu’il fonctionne aujourd’hui. De la surveillance européenne des politiques budgétaire et fiscale des Etats membres (« Semestre européen ») à l’autorité de supervision des banques privées en passant par les politiques de redressement des Etats en difficulté financière, ce nouveau gouvernement économique européen a beau avoir des contours institutionnels chaque fois différents, il affecte bel et bien toujours l’ensemble des citoyens de l’Union. Ce n’est sans doute pas une surprise de ce point de vue là si une part importante des réunions de l’Eurogroupe ont désormais lieu non plus à 19 (Etats ayant l’euro pour monnaie) mais bien à 27.
Par ailleurs, la version de 2018 du T-Dem est beaucoup plus ambitieuse en termes de justice fiscale et environnementale (avec la possibilité d’adopter des impôts communs sur les hauts revenus, les hauts patrimoines et les émissions carbones, et non plus seulement les bénéfices des sociétés), et inclut un projet de Budget permettant de mesurer concrètement le type de modèle européen de développement que cette proposition de démocratisation pourrait permettre de promouvoir.